Thématique de recherche
Nous assistons depuis plusieurs décennies à une augmentation importante du nombre de catastrophes, c’est-à-dire de « graves perturbations qui affectent une communauté et qui dépassent sa capacité à pouvoir y faire face » [1].
En effet, le nombre annuel moyen de catastrophes dites « naturelles » mesuré entre 1997 et 2017 est deux fois plus important qu’entre 1978 et 1997[2]. Chaque année, en moyenne, les catastrophes dites « naturelles » touchent 199 millions de personnes, causent 67 000 décès et font plonger 26 millions de personnes dans la pauvreté, selon le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC). Cette tendance à l’augmentation importante du nombre de catastrophes se confirme et semble même s’accentuer pour la décennie à venir[3]. De multiples facteurs sont en cause dans cette évolution : la croissance des populations, l’urbanisation, les changements d’utilisation des terres, mais également les changements climatiques.
Selon le World Disasters Report 2022, publié par la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR)[4], le nombre de catastrophes déclenchées par des risques naturels ne cesse d’augmenter chaque année. La base de données internationale sur les catastrophes de la FICR (EM-DAT[5]), fait état de 332 catastrophes en 2020 et de 378 en 2022.
Toujours selon le dernier rapport de la FICR, le changement climatique entraîne une augmentation spectaculaire de la proportion de catastrophes annuelles imputables au climat et aux conditions météorologiques extrêmes, passant de 76 % dans les années 2000 à 83 % dans les années 2010[6].
Cela est confirmé par le dernier rapport du GIEC[7], qui fait été d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, notamment les vagues de chaleur, les fortes précipitations et les sécheresses. Il en résulte une augmentation des décès liés à la chaleur, des zones brûlées par les incendies de forêt et des effets néfastes des cyclones tropicaux, tous attribués au changement climatique anthropique[8].
Ce phénomène s’accompagne d’un risque accru d’épidémies, dont le COVID-19 est l’exemple le plus frappant[9]. La pandémie de Covid-19 constitue, presque à tous égards, la plus grande catastrophe depuis 70 ans[10]. Il est confirmé que plus de 6,5 millions de personnes en sont décédées en moins de trois ans – soit, selon les estimations les plus prudentes de l’OMS, 1 personne sur 1 000 –, un ordre de grandeur plus important que tous les tremblements de terre, sécheresses ou ouragans enregistrés. Des secteurs d’activité et des pans entiers de l’économie ont été ravagés, et selon le Fonds monétaire international, le coût de la pandémie sur l’économie mondiale s’élèvera à 13 800 milliards de dollars US.
Les bouleversements climatiques et aléas naturels ont des conséquences qui dépassent largement les seuls impacts environnementaux. En 2015, à la veille de la COP21 de Paris, un rapport de la Banque mondiale confirmait par exemple le lien entre climat et pauvreté, un de ses auteurs affirmant que « 100 millions de personnes supplémentaires pourraient être pauvres en 2030 à cause du changement climatique si les politiques de développement adéquates ne sont pas adoptées ». La hausse continue des températures, l’augmentation de la fréquence des événements naturels extrêmes et de la pollution sont autant de facteurs qui, indéniablement, auront un impact sur les économies des pays les plus vulnérables, majoritairement agricoles et donc fortement dépendantes du climat.
Aussi, le changement climatique exacerbe les conflits autour des ressources naturelles, obligeant les populations à des migrations forcées, qui par ailleurs tombent dans un vide juridique puisque le statut de réfugié climatique n’existe pas. Enfin, les catastrophes ont de terribles conséquences sur la santé. Ces conséquences sont multiples et affectent aussi bien directement les populations (décès, blessures, maladies, etc.) que l’organisation des sociétés (récoltes, accès à l’eau, l’électricité, etc.), mais aussi les systèmes de santé (accès des secours, approvisionnement de matériels médicaux, disponibilité de personnel qualifié, etc.). Entre 1998 et 2017, les catastrophes climatiques et géophysiques ont causé 1,3 million de morts et 4,4 milliards de personnes blessées, sans abris, déplacées, ou nécessitant une assistance urgente[11]. Ces chiffres sont amenés à croître dans les années à venir. En effet, d’ici à 2050, 200 millions de personnes pourraient chaque année avoir besoin de l’aide humanitaire internationale à cause, d’une part, des catastrophes climatiques et, d’autre part, des conséquences socioéconomiques des changements climatiques[12].
Tout cela engendre des crises humanitaires et sanitaires aux causes et modes de gestion spécifiques et dont la multiplication, selon toute prévision, amènera ONG, États, entreprises, institutions internationales à gérer des volumes d’opération en forte croissance à l’avenir. Ce contexte nouveau conduit les acteurs de la société civile et institutions internationales à repenser leur action dans l’optique d’une transition ou articulation plus poussée avec les objectifs du développement durable, et les pouvoirs publics locaux à opter pour des modes innovants de gestion des risques et des catastrophes (nouveaux mécanismes assurantiels, Disaster Risk Reduction) et de transition énergétique. Il est donc important de s’interroger sur ce que ces bouleversements environnementaux impliquent à la fois en termes de conséquences pour les populations ainsi qu’en termes de conception et de pratique de l’action humanitaire.
La réduction des risques de catastrophes est définie comme les « efforts méthodiques visant à analyser et à gérer les causes [des catastrophes], notamment par une réduction de l’exposition aux aléas et de la vulnérabilité des personnes et des biens, une gestion rationnelle des sols et de l’environnement et l’amélioration de la préparation aux événements indésirables »[13]. L’adoption du cadre de Sendai 2015-2030 par l’instance onusienne de la réduction des risques de catastrophes – l’UNDRR (United Nations Office for Disaster Risk Reduction) – a permis de fixer des priorités et de reconnaître l’impact majeur des changements climatiques sur les populations.
Un des défis majeurs actuels consiste à élargir la gestion des risques de catastrophes, aujourd’hui cantonnée à la réponse et au relèvement, vers une approche plus intégrée incluant l’ensemble des phases de la gestion des risques de catastrophes (GRC), à savoir la prévention, l’atténuation / adaptation, la préparation / anticipation, la réponse et le relèvement. En ce sens, il importe donc notamment de mieux comprendre et anticiper les conséquences des programmes d’aide actuels et d’y intégrer de nouvelles dimensions. Celles-ci concernent autant l’analyse des facteurs aggravant la vulnérabilité des territoires et des populations (outre les facteurs géographiques, on pense notamment aux facteurs sociaux, économiques, structurels et infrastructurels) que celle des freins à une bonne gestion de crise (coordination entre les différents acteurs et autorités en présence, enjeux de communication, accès aux régions affectées), ainsi que les questions d’adaptation aux aléas connus et d’anticipation des crises. De nombreuses recherches ont mis en lumière l’importance de prendre en compte dans les politiques de GRC les savoirs et les pratiques mises en place par les populations locales ainsi que leurs compétences (Le Dé et al., 2024[15]). Il s’agit donc aussi d’intégrer ces éléments aux recherches afin de les prendre en compte dans les programmes d’assistance et d’accompagnement mis en place.
L’identification et l’analyse des déterminants socioculturels qui influencent les comportements de prévention et de protection face aux risques naturels est donc cruciale pour adapter les programmes de gestion des risques de catastrophes. Intégrer les logiques spécifiques de positionnement et d’adaptation aux catastrophes des populations vulnérables auprès desquelles les organisations d’aide humanitaire interviennent, permettrait d’avoir une action plus durable et plus efficace. Or on ignore encore beaucoup de la façon dont les populations perçoivent les risques climatiques auxquels elles sont exposées, et les paramètres qui influent sur cette perception et l’adaptation des comportements.
L’objectif de l’appel est de permettre la compréhension de nouveaux modèles permettant d’envisager une action de gestion des risques de catastrophes plus adaptée et une amélioration de la résilience des populations dans une perspective de durabilité et dans le respect de leurs besoins et spécificités culturelles. Il invite à explorer les obstacles et perspectives d’une action dirigée localement et à proposer des pistes de réforme de la réponse humanitaire contemporaine, par exemple en identifiant les principes d’une reconstruction éthique, participative et préventive, suite à une catastrophe, et qui tiendraient compte des inégalités sociales, économiques et territoriales de même que des compétences locales.
Les candidats sont particulièrement encouragés à aborder des exemples de meilleures pratiques, notamment celles répondant à une approche plus intégrée incluant la réduction des risques, la préparation, la prévention et l’atténuation, le lien entre l’action d’urgence et le développement, entre l’action humanitaire et l’action sociale.
On sera particulièrement attentifs aux projets permettant de :
- Qualifier et quantifier de façon innovante et participative les facteurs de vulnérabilité et de résilience qui caractérisent les sociétés soumises à des risques de catastrophes « naturelles »
- Faire émerger les compétences présentes dans les sociétés soumises aux risques de catastrophes « naturelles » et les mettre en dialogue avec les programmes d’intervention et de GRC
- Analyser les freins à l’intégration de ces savoirs et compétences locales dans les politiques et programmes de gestion des risques de catastrophes
- Comprendre les différentes représentations des risques et des catastrophes dont sont porteurs les acteurs en présence lors d’une intervention (habitants, autorités locales et nationales, acteurs humanitaires, experts et scientifiques), et analyser la façon dont ces représentations s’articulent ou entrent en conflit
- Analyser et comparer les spécificités liées à chaque phénomène (matérialité du séisme, de l’inondation, de la coulée de boue ou de l’ouragan par exemple) et ce qu’elles impliquent en termes d’anticipation, de vulnérabilité, de prise en charge et d’atténuation
[1] Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (2020) Politique relative à la gestion des risques de catastrophe de la prévention à l’intervention et au relèvement, Genève, 8 p. https://www.ifrc.org/sites/default/files/2021-07/20210302_IFRC-DRM-FR%5B1%5D.pdf
[2] Centre for Research on the Epidemiology of Disasters, « Economic Losses, Poverty & Disasters, 1998-2017 », 2018.
[3] IFRC Secretariat DRR & Climate Action Strategy Paper, 2019-2020.
[4] Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (2022) World disaster report 2022, Genève, 264 p. https://www.ifrc.org/sites/default/files/2023-03/2022_IFRC-WDR_EN.0.pdf.pdf
[6] IFRC (2020c) World Disasters Report 2020. Come Heat or High Water: Tackling the humanitarian impacts of the climate crisis together. https://www.ifrc.org/document/world-disasters-report-2020
[7] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
[8] GIEC (2022) Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/
[9] Smith KF et al (2014) Global rise in human infectious disease outbreaks. Journal of the Royal Society Interface, 11, 20140950. https://doi.org/10.1098/rsif.2014.0950
[10] Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (2022) World disaster report 2022, Genève, 264 p. https://www.ifrc.org/sites/default/files/2023-03/2022_IFRC-WDR_EN.0.pdf.pdf
[11] Centre for Research on the Epidemiology of Disasters, « Economic Losses, Poverty & Disasters, 1998-2017 ».
[12] FICR, The Cost of doing nothing, Genève, 2019.
[13] Centre for Research on the Epidemiology of Disasters, « Les données en cas de catastrophe : une perspective équilibrée » in CRED CRUNCH, n° 27, Bruxelles, 2012.
[15] LE DÉ, Loïc, GAILLARD, J. C., BAUMANN, Louise, et al. Mesurer la vulnérabilité: de la pertinence de la participation. In Samuel Rufat et Pascale Metzger (eds.) Vulnérabilité, territoire, population, De la critique aux politiques publiques, ISTE éditions, 2024, p. 205-221
Zones géographiques de recherche
La recherche aura lieu en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins, en Afrique subsaharienne, dans l’océan Indien ainsi qu’au Liban.
Le ou les pays ciblés constituent une entrée empirique pour les recherches. Ils ne correspondent en aucun cas aux nationalités d’éligibilité du candidat.
L’accès au terrain sera conditionné par une évaluation précise des risques remise lors de la candidature et mise à jour avant le départ en prenant soin de vérifier au préalable les recommandations du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères français.
Je candidate
Bourse de recherche (individuelle)
Nombre de bourses : 2
Montant : 19 800 € (chacune)
Chaque lauréat bénéficiera en outre de :
- la possibilité de solliciter une participation aux frais d’assurance liés au terrain (pour un montant maximum de 500 euros).
- suivi scientifique et tutorat personnalisés
- accompagnement dans la valorisation des résultats de la recherche (traduction en anglais, publications sur ce site, soutien pour publier dans des revues d’excellence et notamment dans la revue Alternatives humanitaires, participation aux Rencontres de la Fondation)
- abonnement d’un an à la revue Alternatives humanitaires
Dates clés :
- 5 mars 2024 : lancement de l’appel
- 5 mai 2024 : clôture des candidatures à minuit (heure de Paris)
- 12 juillet 2024 : annonce des résultats
- 1er septembre 2024 : début de la recherche
- 1er septembre – 1er décembre 2025 : rendu des livrables finaux
Job Features
Job Category | Internship and training |